La veille de l'entretien, réalisé le 20 septembre dans une petite salle du centre d'entraînement du RC Vannes, l'entraîneur du promu qui a purgé sa peine de six semaines de suspension à cause d'un comportement « ayant perturbé le bon déroulement du contrôle et de la procédure de l'Agence française de lutte contre le dopage » (*) s'est offert ce moment de répit, ce petit instant de bonheur : « Une eau lisse, un temps magnifique. J'ai pêché, du côté de Houat. Je suis parti au dernier moment. Quand je suis sur ou sous l'eau, je coupe tout. »
« La première chose que je fais quand j'arrive dans ma chambre d'hôtel en déplacement, c'est vider mon sac par terre. (...) L'ordre peut me stresser.
Jean-Noël Spitzer
Tout semble sous-contrôle chez le technicien breton. « Oui, au rugby. Je connais mon planning par coeur, je suis très calé, je suis capable de vite me concentrer pour exécuter une tâche. Mais, dès que je bascule dans ma vie perso, il n'y a plus d'organisation, je ne sais pas ce que je vais faire demain. Je suis bordélique. Regardez mon bureau. Il y a des feuilles, des câbles, des stylos... » Ceux de ses adjoints sont nickel.
Le même foutoir règne à son domicile, dans son espace personnel. Toutes ses fringues de rugby sont étalées sur le sol. Sa femme n'y rentre plus. Elle pousse la porte et lui jette ses affaires. « C'est bizarre. Et vous n'avez jamais vu l'intérieur ma voiture. La première chose que je fais quand j'arrive dans ma chambre d'hôtel en déplacement, c'est vider mon sac par terre. » On imagine très bien la scène, et la tête de son adjoint... « L'ordre peut me stresser... Et c'est vrai que Gérard Fraser (un de ses adjoints, parti depuis à Bayonne), qui est cartésien, a été surpris au départ. »
Il faut l'écouter raconter ces quelques anecdotes, ces décisions prises sur un coup de tête... « On était en juin, mes deux enfants à l'école. J'étais seul, ma femme travaillait. On avait pris le petit-déjeuner ensemble. À 13 heures, elle m'a appelé pour me demander quelque chose : ''J'entends du bruit, t'es où ?'' J'étais à l'aéroport, j'avais trouvé un billet. Je lui ai répondu que je partais aux Açores. Je n'avais rien prévu. J'ai du mal à prévoir. Un jour, j'avais une semaine de congé. Ma soeur habite en Martinique. Bah, j'ai récupéré mon fils au collège, je lui ai dit : ''Viens, on part...'' » Cette douce folie, c'est peut-être ça, la clé de réussite et de sa longévité.
L'histoire a commencé il y a 20 ans : « J'étais joueur au RC Vannes, je me blesse sérieusement, au tendon d'Achille. Goulven Le Garrec, qui était entraîneur, me propose de l'accompagner sur les avants. Ensuite, il se met en retrait. J'étais cadre technique, j'avais l'habitude d'entraîner les sélections départementales et régionales, ça me plaisait d'entraîner. Mais on est en Fédérale 2, en Bretagne. Il n'y a aucun plan de carrière, à part celui de monter en Fédérale 1. Et la Fédérale 1, c'est dur, avec peu d'entrée d'argent et de longs des déplacements... On avait parfois des poules avec Lille, Saint-Jean-de-Luz, Valence, des clubs dans la vallée du Rhône. Je vivais à Vannes, avec un logement à Rennes où je travaillais. Et le samedi, je bossais à Saint-Brieuc pour m'occuper de la formation des éducateurs. Quand mon équipe jouait à Saint-Jean-de-Luz, je prenais ma voiture le samedi à 17 h, de Saint-Brieuc, pour arriver à 3-4 heures du matin... Et retour pour Rennes après le match, car lundi, j'enchaînais. C'était ça mon rythme. »
« Je trouve que c'est plus facile d'entraîner en Top 14 qu'en Pro D2. Déjà, le jour off, c'est le dimanche...
Jean-Noël Spitzer
Il a hésité avant de le dire, mais il juge désormais son quotidien moins contraignant : « Je trouve que c'est plus facile d'entraîner en Top 14 qu'en Pro D2. Déjà, le jour off, c'est le dimanche... En Pro D2, tu t'entraînes le dimanche. Là, tu peux faire des choses. Pour la première fois, j'ai pu fêter l'anniversaire de ma nièce. Avec un meilleur budget, tu peux mieux gérer les déplacements aussi. On a pris le TGV pour aller à Paris. En pro D2, tu ne prends jamais le train. C'est beaucoup plus confortable aujourd'hui. »
À 50 ans, il est toujours là, solidement arrimé au poste et samedi, à Montpellier, il sera sur le banc pour la première fois en Top 14. Les caméras se braqueront sur lui, comme les projecteurs médiatiques depuis le début de la saison. Il est la star du club. « Je ne vais pas le nier, je ne vais pas vous dire autre chose, mon image est associée à l'histoire du club. Mais ce n'est pas moi, ce n'est pas ma personne, je pense, qui intéresse, mais plutôt mon parcours. »

Jean-Noël Spitzer n'a jamais joué au haut niveau. « En France, c'est difficile d'accéder à l'entraînement d'une équipe professionnelle si tu n'as pas été un joueur professionnel. Il y a une forme d'entre-soi, c'est un petit monde aussi, je pense que le parcours de formation pour entraîner manque d'exigence... Passer du statut de joueur au statut d'entraîneur dans le monde professionnel, sans passer par les étapes qui sont la formation ou le monde amateur, ça me paraît étonnant. »
Jean-Noël Spitzer dit ce qu'il pense quand il ouvre la bouche : « J'aime bien la franchise, la transparence. J'ai la chance de faire partie d'un club où on fait preuve de franchise... T'es pas obligé de te tourner pour voir si quelqu'un ne va pas te planter un couteau dans le dos ! » Olivier Cloarec, son président, raconte que certains échanges peuvent être électriques. Des joueurs avouent avoir été désarçonnés par la teneur du propos qui claque.
Cela correspond à sa nature. « Je ne laisse pas beaucoup de prise aux émotions, concède-t-il. J'aime bien contrôler. Je suis concentré. Mais je sais à quel moment je peux me laisser aller. En général, je les réserve à mon groupe, dans l'intimité d'un vestiaire, ou en réunion. Mais devant tout le monde j'essaye d'avoir de la maîtrise. »
Depuis la Fédérale 1, il travaille avec un préparateur mental pour l'aider sur cet aspect-là. « On essaye de se voir 3 ou 4 fois dans l'année, avec une visio tous les quinze jours. C'est un besoin, c'est intéressant de pouvoir exprimer mon ressenti. Et lui aussi, notamment au travers des interviews que je donne, il peut percevoir des choses sur mon attitude. Sur les mots que j'utilise aussi. » Un exemple ? « J'essaye de lutter pour éradiquer une forme négative de mon discours. Au lieu de dire : ''Ne faites pas tomber le ballon'', j'essaye de dire : ''maîtrisez le ballon, gardez-le.'' »