L'équipe du jour :
RUGBY
« AUJOURD'HUI, ON N'EXISTE PAS !»
Morgan Parra
RENAUD BOUREL
Le demi de mêlée de Clermont, ici à la baguette face à Brive début décembre (26-21), a prolongé avec l'ASM jusqu'en 2020.
LE DEMI DE MÊLÉE DES BLEUS POSE UN REGARD SANS CONCESSION SUR LE NIVEAU DE L'ÉQUIPE DE FRANCE, BALAYÉE EN QUARTS DE FINALE DU DERNIER MONDIAL PAR LA NOUVELLE-ZÉLANDE.
CLERMONT - Après les retraites internationales de Thierry Dusautoir, Pascal Papé, Frédéric Michalak ou Nicolas Mas, il est aujourd'hui l'un des internationaux les plus expérimentés encore en activité. Deux mois après la fin de la Coupe du monde, Morgan Parra (27 ans, 66 sél.) a pris le temps d'une longue discussion pour évoquer l'équipe de France, revenir sur son parcours, les rumeurs d'endettement qui lui ont pourri la vie et son choix de prolonger son contrat de quatre ans avec Clermont.
«Dans quel état êtes-vous rentré de la Coupe du monde ?
Ç'a été dur. Je ne m'attendais pas à ça. Je savais que ce quart de finale serait compliqué parce qu'on était dans la difficulté depuis quelques matches, mais je ne pensais pas qu'on prendrait une telle dérouillée (62-13). On était toujours parvenus à rivaliser sur un match. Pas là. On a été surclassés dans tout, tout, tout... J'ai eu l'impression qu'on pouvait enchaîner les temps de jeux sans jamais avoir la capacité de les mettre en échec. En revanche, eux, le moindre petit truc, bien fait, tranquillement, pouvait nous déséquilibrer. Au final, le score est très lourd pour un quart de finale.
Comment expliquez-vous qu'en quatre ans, l'écart se soit creusé à ce point ?
En 2011, sur la finale contre la NouvelleZélande (8-7), on mérite d'être champions du monde. Tout le monde sait qu'on doit la gagner. En revanche, sur la philosophie globale de la compétition, c'est triste à dire, mais si on est champions du monde, c'est un vol ! Il ne faut pas se mentir, sur le jeu et tout le reste, tu ne fais rien sur ce tournoi. Tu rivalises en finale parce que tu décides de t'y filer, mais contre le pays de Galles en demies (9-8), on doit passer à la trappe. Et, depuis, on n'a jamais rivalisé non plus. Pas une seule fois en quatre ans. Je n'ai pas peur de le dire.
Vous parlez des Néo-Zélandais mais, en quatre ans, l'équipe de France n'a plus battu ni l'Irlande, ni le pays de Galles, non plus.
On n'était pas au niveau, c'est tout. C'était déjà le cas avant 2011 et cela s'est encore accentué par la suite avec les autres grandes nations. Aujourd'hui, pour exister à haut niveau, il faut produire (du jeu) pour mettre l'adversaire à la faute. Nous, on s'est contentés d'un jeu de conquête, d'occupation, avec un buteur. Attention, c'est souvent grâce à ça que l'équipe de France a gagné, mais cela ne suffit plus. Néanmoins, on ne nous a jamais bridés. On pouvait jouer dans les 40 ou les 50 mètres. Mais est-ce qu'on a réussi à le faire ? Je ne pense pas.
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"Par rapport aux talents que l'on a en France, à tous les postes, il y a un énorme gâchis. Je vais être méchant, mais je ne pense pas que l'on a besoin de joueurs étrangers"
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Les joueurs français donnent le sentiment d'avoir peur d'aller contre les consignes...
Le problème, aujourd'hui, c'est que l'on est davantage à la recherche d'une performance individuelle que collective.
Mais ça, c'est catastrophique !
Bien sûr, mais la concurrence est énorme. On ne laisse pas de droit à l'erreur. Si tu fais un mauvais match, tu es sanctionné immédiatement et remplacé par un autre. La constance n'existe plus. Tu n'as pas le temps d'évoluer, de grandir, de trouver des repères. On est dans le one shot permanent ! La France est l'une des seules nations où on ne laisse pas le temps à une charnière de s'installer. Tu fais deux bons matches, un troisième pourri, et on te met remplaçant. L'autre 9 va enchaîner et puis lui aussi finira par sauter à la première mauvaise performance. Ça m'est arrivé comme à d'autres.
Au final, vous n'êtes jamais en confiance ?
On est des sportifs de haut niveau, il faut passer au-dessus de ça. Mais est-ce qu'aujourd'hui, inconsciemment, les joueurs ne sont pas trop à la recherche de cet aspect individuel ? Je pense que si. On est humains, on n'accomplira jamais une saison complète avec que des matches de très haut niveau.
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27 ans 1,80 m ; 81 kg Demi de mêlée Clubs : Bourgoin, Clermont 66 sélections
2010 Champion de France et vainqueur du Tournoi des Six Nations (Grand Chelem).
150 S'il joue demain contre le Racing 92, Morgan Parra disputera son 150e match officiel sous le maillot de l'ASM depuis son arrivée au club en 2009, toutes compétitions confondues.
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Donc tu joues pour ne pas sortir du cadre, tu cherches la performance individuelle et, si tu n'es pas bon, tu sautes. On te remplace, l'autre n'est pas bon, il saute et ça tourne. Au final, tu deviens un titulaire par défaut.
Finaliste en 2011, cadre de l'ère Lièvremont, vous aviez pourtant une certaine légitimité...
J'ai toujours eu la chance de faire partie de ce groupe, mais je ne pense pas avoir été quelqu'un sur qui on comptait, sinon par défaut. Elle est là la vérité. J'ai disputé la dernière Coupe du monde en tant que remplaçant. C'était leur choix, je l'accepte, aucun souci. Mais on me titularise comme ça, d'un coup, sur le match le plus important de la compétition (face à la Nouvelle-Zélande en quarts de finale). Je suis un vrai compétiteur. J'ai pris cela comme une chance et j'ai essayé de tout donner, mais qu'est-ce que tu veux faire ?
Le problème, aujourd'hui, n'est-il pas le retard accumulé par les joueurs français à tous les niveaux ?
Physiquement, pas trop. Techniquement, oui. D'ailleurs cela englobe tout : maîtrise tactique, technique individuelle, adaptabilité, vision du jeu, rapidité de compréhension et d'exécution. Mais on en revient toujours à la même chose : les Néo-Zélandais sont éduqués comme ça. Nous, on a un problème de formation.
En équipe de France, tu n'as pas le temps de bosser làdessus. Néanmoins, par rapport aux talents que l'on a en France, à tous les postes, il y a un énorme gâchis. Je vais être méchant, mais je ne pense pas que l'on a besoin de joueurs étrangers. On a toutes les qualités physiques, on a quand même des qualités techniques peut-être un peu moins , mais on a ce qu'il faut pour exister au niveau mondial. Or, aujourd'hui, on n'existe pas !
Et vous, personnellement, vous vous situez comment par rapport à l'équipe de France ?
J'ai envie de vivre de beaux moments avec elle et de gagner. Je n'ai connu qu'un Grand Chelem, en 2010. Rendez-vous compte, ça fait six ans ! Et, depuis, beaucoup de galères, pas un moment où tu te dis que tu te bats pour un Grand Chelem, une tournée, la Coupe du monde. Or, à la fin d'une carrière, on ne se souvient que des titres. J'ai envie de gagner des choses et de me fabriquer des souvenirs.
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"Le regard des autres s'est mis à être pesant. Tu deviens dingue. Tu penses que tout le monde croit à ces rumeurs, que les gens ont ces conneries en tête"
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C'est encore possible avec l'équipe de France ?
Mais bien sûr. On peut dominer le rugby européen comme c'est possible d'être champions du monde. On n'est pas au fond du seau à ce point. Après, tout ça arrive si tu es bon en club. Et puis c'est très compliqué quand tu changes de sélectionneur.
Vous pensez à 2019 ?
Pour l'instant, non. Pour y penser, il faut déjà être pris. Là, il y a un nouveau sélectionneur (Guy Novès), un autre mandat...
En 2011, Marc Lièvremont parlait de "sales gosses". En 2015, Guy Novès entend ramener de l'autorité en équipe de France et rendre son prestige au maillot bleu. La génération actuelle est-elle à ce point insupportable ?
Je ne crois pas qu'il y ait moins de considération pour le maillot. Aujourd'hui, tu sais pourquoi tu vas en équipe de France : défendre le maillot bleu, représenter ton pays. Tu y vas pour te confronter aux meilleurs et être reconnu par les autres nations.
Passons à l'ASM.Vous venez de prolonger jusqu'en 2020.Vous n'avez pas eu la tentation de changer d'air ?
Un peu, mais partir pour quoi ? Est-ce que j'aurais une meilleure qualité de vie ? Est-ce que je connaîtrais un meilleur projet sportif ? Tout cela rentre en ligne de compte, au-delà de l'aspect financier. Partir pour partir, non...
Qu'est-ce qui a nourri votre réflexion ?
L'évolution du club, son ambition sur les structures, le stade, l'équipe. Le fait d'avoir passé pas mal de temps ici avec une vie géniale. Et puis, il y a le public, jouer dans un stade plein tout le temps, disputer les phases finales : c'est agréable. Et il y a cette ambition de ramener encore quelque chose. On se dit qu'on manque d'un peu de chance pour basculer. Mais on y croit et on continue de se battre.
Justement, après tant d'échecs en finale, vous continuez d'essayer de vous l'expliquer ?
Non, on ne se l'explique plus. On va arrêter de se poser dix mille questions et si ça sourit, ça sourit.
D'un point de vue plus personnel, vous avez traversé une mauvaise passe, avec des rumeurs sur des dettes de jeu circulant à votre égard...
(Il coupe.) Je suis bien dans ma vie et dans ma tête. Mais quand de telles rumeurs se mettent à circuler, tout devient plus compliqué. Il a fallu que je trouve des solutions pour évacuer toutes ces choses négatives qui me pourrissaient la vie. J'ai fait tout un travail afin de comprendre pourquoi cela m'arrivait et pourquoi cela pouvait toucher n'importe qui.
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"Je ne partirais pas en vacances avec tout le monde, c'est une certitude. Mais tu peux te crever pendant 80 minutes sur un terrain avec les mecs au rugby sur un même désir"
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Les rumeurs ont atteint des proportions incroyables. On vous disait pendu par les pieds. Vous avez remboursé ?
(Il sourit.) J'étais soi-disant ruiné à cause d'une addiction au poker. J'aurais été menacé par la mafia russe, puis italienne, recherché. J'aurais perdu ma maison au jeu, aussi. La vérité, c'est que je suis en procès sur la première maison que j'ai fait construire et la deuxième est terminée... Heureusement, le club n'a pas tenu compte de tout cela. Parce qu'aujourd'hui, une entité comme l'ASM se doit de faire attention à son image. Et si vraiment j'avais eu de tels ennuis, vous pensez sincèrement que j'aurais signé un nouveau contrat de quatre ans ? J'aurais été viré depuis longtemps.
Vous parliez d'un travail psychologique, pouvez-vous être plus précis ?
J'ai fait quatre ou cinq séances avec (le préparateur mental du club) Denis Troch, qui m'ont aidé à comprendre les gens. J'ai réalisé qu'il y a les bons et les mauvais mecs, des gens qui s'ennuient et n'ont rien d'autre à faire que colporter des ragots.
D'autres sont jaloux et cherchent à faire du mal. Certains sont malheureux, aussi, et ne comprennent pas qu'à côté, on puisse être heureux. J'ai fini par basculer en me demandant qui était le plus malheureux : moi qui me lève le matin pour vivre très bien de ma passion ou le mec qui s'emmerde dès qu'il met le pied hors du lit et cherche à abîmer l'autre ?
Donc il n'y a aucun contrat sur votre tête ?
(Hilare.) Aujourd'hui, j'en rigole, mais sur le coup je ne trouvais pas ça marrant. Quand votre famille vous appelle parce qu'elle s'inquiète, que les flics débarquent à la maison...
Imaginiez-vous vivre ce genre de situation lorsque vous avez commencé le rugby ?
C'est derrière moi et c'est une étape de la vie qui m'aura fait mûrir. Malheureusement, il y a eu des répercussions sur le terrain. J'étais moins bien, j'ai commencé à me blesser. Je n'arrivais plus à me lâcher psychologiquement. Le regard des autres s'est mis à être pesant aussi. Tu deviens dingue. Tu penses que tout le monde croit à ces rumeurs, quand on te regarde du coin de l'oeil, tu penses immédiatement que les gens ont ces conneries en tête. À l'époque, je n'ai pas voulu démentir parce qu'en général, cela produit l'effet inverse. On a choisi de le cacher, mais avec le recul, j'aurais dû démentir. Parce que ça a pris une telle ampleur que ça n'était plus vivable. Quand tu démarres le rugby, jamais tu ne penses que ce genre de choses peut t'arriver. Mais ce sport a beaucoup évolué. On n'a pas le niveau de notoriété du foot, mais, par certains aspects, on s'en rapproche. Aujourd'hui, notre médiatisation est hors norme. Maintenant, je n'ai rien à me reprocher, aucun problème, je suis bien...
Et l'étiquette du "merdeux", vous en êtes-vous débarrassé ?
Avant, je m'en souciais. Désormais, c'est comme ça. Si le mec me connaît bien, il a une autre perception. C'est en Berjallie que l'on m'a collé cette étiquette à l'époque des Chabal, Nallet, Bonnaire. Mais c'était plutôt affectueux de leur part parce qu'on avait une grosse relation. C'est venu aussi de mon tempérament sur le terrain, même si j'ai dû me calmer avec les cartons...
Calmer, c'est-à-dire que vous parlez moins aux arbitres ?
Mouais... (Il se marre.) Si, je parle moins aux arbitres. De toute façon, le professionnalisme fait que l'arbitre ne veut plus qu'on lui parle trop. Il attend le capitaine. On pensait que j'étais un enfoiré sur le terrain, mais ce n'est pas vrai. Je défends mon équipe et mes couleurs, c'est tout...
Vous avez surtout une incapacité à garder pour vous ce que vous pensez ?
Peut-être que j'ai tendance à être dans l'excès, parfois...
Un peu rancunier aussi ?
Pourquoi un peu ? Beaucoup...
Ça vous embête ?
Non, je vis avec. Je suis content (il se marre)...
Le rugby vous a-t-il déjà rendu malheureux ?
Pas malheureux, mais j'ai connu des déceptions qui ont duré longtemps. Les finales perdues, notamment avec Clermont (*), c'est lourd. Ne pas rendre aux gens ce qu'ils nous donnent. Quand des joueurs plus anciens arrêtent sans le titre qu'ils méritaient. Le rugby est une aventure collective. Attention, que l'on se comprenne bien, je ne partirais pas en vacances avec tout le monde. C'est une certitude. Mais tu peux te crever pendant 80 minutes sur un terrain avec les mecs au rugby sur un même désir.»
(*) Deux finales de Coupe d'Europe perdues (2013 et 2015) et une de Top 14
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L'âge de raison
C. DO.
Son visage est devenu tellement familier aux amateurs de rugby qu'on a l'impression de le voir évoluer au plus haut niveau depuis quinze ans.C'est oublier que Morgan Parra n'a que vingtsept ans. Et qu'à son poste de demi de mêlée, vingt-sept ans, c'est à peine la fin de l'adolescence et le début de l'âge adulte.Tout, dans l'entretien que nous a accordé l'ancien Berjallien, comme dans son actualité récente, tend à prouver que Morgan Parra le joueur mais aussi l'homme a acquis une maturité nouvelle ces derniers mois : le regard dur mais lucide qu'il porte sur l'équipe de France et le rugby français dans son ensemble, son réengagement sur la durée avec Clermont, la manière dont il a surmonté le trouble causé par les rumeurs l'ayant visé, le fait que l'entraîneur de l'ASM,Franck Azéma, lui confie le capitanat, le week-end dernier face à Exeter en Coupe d'Europe, pour la première fois depuis son arrivée au club, en 2009...
Forcément, tout cela rejaillit sur son humeur «Je suis bien dans ma vie et dans ma tête», assure-t-il et son comportement sur le terrain «j'ai dû me calmer». Parra, qui compte déjà quelques kilomètres au compteur (66 sélections), s'apprête peut-être à vivre les plus belles années de sa carrière.À vingt-sept ans, Fabien Galthié (64 sél.), un de ses plus illustres prédécesseurs au poste de demi de mêlée, allait encore disputer deux Coupes du monde.Parra ne voit pas si loin, lui qui refuse encore d'envisager 2019.Rien ne dit, en effet, que Guy Novès fera de lui le taulier de l'équipe de France dont il a, pourtant, de plus en plus l'étoffe.
Modifié par JB 03, 26 décembre 2015 - 17:22 .
Mise en forme