" Florian Grill, on s’en fout. Il n’y a que sa mère qui le connaît. » Il y a quelques mois, Bernard Laporte avait donné la tonalité de sa campagne pour conserver la présidence de la Fédération en se moquant du manque de notoriété de son rival, un chef d’entreprise de 55 ans, président du comité d’Île-de-France, mais inconnu du grand public et d’une bonne partie du rugby français.
Depuis, lors de ses meetings, Bernard Laporte a souvent répugné à nommer son challenger, préférant l’appeler « L’énarque », en opposant entre les lignes un « rugby d’en bas » à un « rugby de l’élite » dont Florian Grill serait le champion. La semaine passée, à sa sortie de garde à vue, le président de la FFR est allé un peu plus loin dans l’invective en affirmant que son opposant, modeste deuxième ligne du Paris Université Club, était « un lâche sur un terrain ». Cette escalade verbale est sans doute le signe pour Florian Grill d’une campagne réussie et d’une nervosité grandissante dans le camp des sortants.
Au fil de près de 230 réunions avec les représentants des clubs, Grill a non seulement effacé son déficit de notoriété mais il a gagné des parts de marché, en sillonnant la France d’un pas tranquille, le verbe clair, en appuyant fort et de manière répétitive là où le bilan de Bernard Laporte semblait le plus fragile (les finances, la baisse des licenciés). Sa stratégie du « pick and go » a fonctionné et, à cinq jours de l’élection, chacun s’attend à un scrutin serré.
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« Pierre Camou (NDLR : ancien président de la FFR) avait une formule que j’ai faite mienne. Je ne dis pas du mal des gens du rugby, car cela fait du mal au rugby », explique-t-il. « Le respect de l’autre est la première des choses qu’on apprend. Au départ, Bernard Laporte avait juste oublié que j’avais été élu à la tête de la Ligue d’Île-de-France avec 66 % des voix. Je suis factuel et respectueux dans toutes circonstances. Je suis dur sur les faits. Je suis sans concession dès lors que les idées ne me correspondent pas. Mais je m’interdis d’agresser les personnes. Je trouve choquant qu’un président de la FFR puisse s’en prendre aux gens. Qu’il s’en prenne aux idées, pas de problème. Je lui ai demandé de débattre. Il a refusé le face-à-face. Il préfère attaquer dans le dos. »
Un CV irréprochable
Repéré par Pierre Camou alors qu’il défendait la cause du club de Boulogne-Billancourt, cet ancien élève d’HEC a pris la tête de l’opposition en 2019 après une année d’échanges et de réflexion au sein d’un groupe réuni par Jean-Claude Skrela, l’ex-directeur technique. Il y avait là de fortes personnalités qui auraient pu briguer la place de numéro 1 comme Marc Lièvremont, Serge Blanco, Jean-Marc Lhermet ou Skrela. Le premier a choisi de s’effacer, les trois autres de se ranger sous la bannière de Grill.
« On était convenu qu’on désignerait la tête de liste après avoir travaillé sur le projet. À mesure des réunions, les regards se sont tournés vers moi et il n’y a pas eu besoin de voter. On est tombé d’accord pour dire qu’il fallait que ce soit un représentant du rugby territorial et régional car c’est 95 % du boulot d’une fédération. »
De ce point de vue, sa légitimité est incontestable. « Le rugby territorial est régional, je le connais depuis quarante ans. Vingt ans comme joueur, vingt ans comme dirigeant. J’ai coché toutes les cases, joueur, président de club, président de la ligue, élu au comité directeur. Je n’ai pas entendu parler du rugby amateur : je l’ai vécu. Je sais ce que c’est que d’attendre les parents à l’arrivée du bus, de courir après les gamins pour faire une équipe. »
Mais au-delà de son CV irréprochable, si Florian Grill inquiète aujourd’hui le camp Laporte, c’est que ce patron d’une société de conseil en média et en marketing – CoSpirit – possède de l’épaisseur intellectuellement et qu’il a du charisme. « Chaque fois qu’on voit les gens, on convertit. J’ai 300 relais locaux. Dans nos relevés d’intentions de vote, on est devant », estime-t-il.
« Florian est évidemment un garçon intelligent, témoigne Jean-Pierre Massines, ancien dirigeant de Montpellier – la famille Grill a des racines dans l’Hérault – et compagnon de deuxième ligne en minimes et cadets au PUC. Il a de la rigueur, du courage, de l’altruisme. Mais sa qualité principale, c’est qu’il sait fédérer. »
« Il possède une autorité naturelle. Mais c’est un leader qui s’épanouit dans l’aventure collective », assure Nicolas Barsalou, son pilier gauche à HEC. « Quant au joueur, il ne refusait jamais l’affrontement mais il était toujours loyal. »
Trop « clean » Florian Grill pour faire basculer une élection qui avantage d’ordinaire le sortant ? On le saura samedi. Quoi qu’il advienne, il poursuivra le combat. « La résilience, je l’ai développée au rugby comme dans mon parcours professionnel où j’ai connu l’hyper croissance comme l’explosion de la bulle internet. On apprend plus de ses échecs que de ses succès. Le rugby est ma passion. Ma motivation, elle n’est pas née avec la campagne. Je ne vais pas m’arrêter. »