L'EQUIPE DU JOUR
Affaire Laporte-Altrad : les zones d'ombre d'un contrat
Le contrat de partenariat passé par la Fédération avec le groupe Altrad pour que ce dernier s'affiche sur le maillot de l'équipe de France soulève encore plusieurs questions.
La défiance et la grogne contre Bernard Laporte et Mohed Altrad n'ont pas été circonscrites par la simple rupture du contrat de partenariat établi entre les sociétés BL Communication et Altrad Investment Authority. Bien qu'elle fût relativement rapide, la seule existence de cet engagement écrit - d'abord nié par M. Altrad - entre le président de la FFR et le patron du club de Montpellier posait un problème d'éthique. Il en a découlé des soupçons de favoritisme et de pression présumée sur la commission d'appel de la FFR qui ont conduit à des démissions en cascade au sein de cette dernière puis, devant les proportions prises par la polémique, à l'ouverture d'une enquête administrative à la demande du ministère des Sports.
Mohed Altrad reste néanmoins lié à la Fédération par un autre partenariat. Pour 1,5 million d'euros, le groupe international de matériel en BTP s'affiche sur le maillot du quinze de France depuis le Tournoi des Six Nations 2017. Ce contrat continue de susciter l'irritation des présidents de club du Top 14, lesquels notent un conflit d'intérêts pour la FFR et son président, qui gèrent le Top 14 et sont en relation de partenariat avec le groupe d'un président de ce même Championnat. Mais cet accord de sponsoring soulève aussi des interrogations quant à son tarif...
Un maillot sous-valorisé...
C'est en Italie, lors du dernier Tournoi des Six Nations, qu'on a vu apparaître Altrad et son logo sur le torse des Bleus sous la mention #France 2023. Ce contrat de sponsoring, que nous nous sommes procuré (voir par ailleurs), vise à soutenir financièrement la candidature de la FFR à l'organisation du Mondial qui succédera au Japon en 2019. Si l'arrivée d'une marque sur l'étendard fédéral était une promesse du candidat Laporte, il devait en faire dégringoler la recette sur le rugby amateur. Une manne coquette pourvu que le produit soit valorisé à sa juste mesure. « Ce n'est même pas crédible, pose Gilles Dumas, coprésident de Sportlab. Vous avez des partenaires historiques qui doivent mettre en moyenne 4 à 5 millions d'euros par an sans visibilité maillot, et un homme arrive et pour 1,5 million acquiert ce que tout le monde voudrait avoir, un maillot sur lequel la mise à prix initiale était plutôt de l'ordre de 10 millions d'euros. » À titre indicatif, AIG verse 10 M€ par saison pour s'étaler sur la mythique tunique noire des All Blacks. O2 offre 8 M€ aux Anglais pour s'exposer sur leur maillot intégralement blanc. À la suite de cette arrivée et la vampirisation de l'image du quinze de la Rose par l'opérateur mobile, BMW avait même quitté la RFU.
Ces tarifs sont largement supérieurs à celui pour lequel la FFR a cédé son produit le plus précieux. « Cet argent accompagne le dossier Coupe du monde, justifiait à l'époque le patron du rugby français. C'est un état d'esprit qui montre que des grands partenaires, qui plus est ici un grand président du Top 14 et un grand entrepreneur, décident d'accompagner la FFR dans un dossier de candidature pour la Coupe du monde. »
Des contrats bizarrement disproportionnés
On comprend donc l'objet du contrat, mais comment expliquer un tarif (1,5 million d'euros pour 8 à 10 matches) aussi faible, notamment au regard de critères de comparaison internes ? La disproportion vis-à-vis des grands partenaires historiques de la FFR est par exemple flagrante. La GMF (4,3 M€), la Société Générale (5,2 M€), Orange (3,3 M€), Adidas (4,5 M€) et BMW (4,7 M€) pour des sommes largement supérieures apparaissent sur le maillot d'« entraînement » des Tricolores. Une visibilité que les protocoles médias érigés par Guy Novès ont d'ailleurs rendue faible. Ils bénéficient à côté de cela des prestations classiques autour des rencontres et de la vie du quinze de France. Le silence de ces sponsors prestigieux fut néanmoins étrange. Nous savons qu'ils possèdent tous dans leur contrat des clauses de revoyure si une modification conséquente venait à altérer l'équilibre de leur contrat tel que, notamment, l'apparition d'un partenaire sur le maillot de match des Bleus. Ils ont aussi une priorité d'entrée de négociations dans pareille circonstance. Or à aucun moment ils n'ont été sollicités officiellement, sinon entre deux portes, de manière informelle par Serge Simon, vice-président de la FFR.
À plusieurs reprises, le « big five » s'est réuni pour parler des difficultés rencontrées avec la nouvelle gouvernance et ses méthodes pour le moins brutales. Pris en otage par le projet France 2023, ils n'ont pas souhaité montrer les dents pour ne pas apparaître comme des freins dans la candidature à l'organisation de la Coupe du monde. On ne les a pas plus entendus quand Bernard Laporte a annoncé dans les colonnes du Parisien que Mohed Altrad devait s'engager sur six ans à hauteur de dix millions d'euros par saison à l'issue du bail en cours.
Un futur contrat à 5,4 M d'euros ?
Là encore, comment expliquer que le prix du maillot passerait d'une année à l'autre de 1,5 à 10 millions d'euros ? Bernard Laporte déclarait au Parisien le 29 août : « À ce jour, nous n'avons qu'une seule réponse à notre consultation pour devenir sponsor maillot. Une seule. Et c'est le groupe Altrad. Le comité directeur aura à se prononcer sur cette proposition prochainement. S'il l'accepte, ce partenariat apporterait 60 millions d'euros jusqu'en 2023. » Soit 10 millions d'euros par an sur six ans auxquels viendrait s'ajouter, pendant dix ans, un apport personnel du président de Montpellier à hauteur de 4 millions d'euros annuels en faveur de la formation. Reste que, selon nos confrères du JDD, Altrad s'apprête à signer un nouveau bail de valeur bien moindre : 3,2 millions d'euros la saison, le prix d'entrée au cercle des grands partenaires de la FFR, auquel viendraient s'additionner 2,2 millions d'euros pour apparaître sur le maillot de l'équipe de France. Ce nouveau tarif apparaît encore sous-évalué quand on sait, par exemple, que la Société Générale paye 5,2 millions d'euros par an pour une visibilité plus faible. Il faut toutefois ajouter au potentiel futur contrat entre Altrad et la FFR des primes de résultats au barème progressif en fonction du classement World Rugby, d'une victoire dans le Tournoi des Six Nations, d'un Grand Chelem ou d'un titre de champion du monde. Des bonus oscillant entre 1 et 3 millions d'euros. De quoi faire grimper la facture, même s'il faudrait aux Tricolores le niveau de performance des All Blacks pour approcher les 10 millions par saison évoqués par Bernard Laporte.