CLERMONT-FERRAND - Alexandre Lapandry n'a que vingt-huit ans, mais c'est déjà une mémoire de l'ASM. Hier, le capitaine est venu assumer la défaite contre Oyonnax, et c'est lui qui, indirectement, a donné toute la mesure de la série noire que traversent actuellement les Auvergnats. «C'est dur ! se lamentait le troisième-ligne. Ça fait onze ans que je suis à l'ASM et je n'ai jamais connu ces moments !» Ça ne le rassurera sans doute pas, mais même sans lui, Clermont n'a jamais connu ça. Les Jaune et Bleu ont concédé une sixième défaite d'affilée en Top 14. Ça ne leur était jamais arrivé sur une même saison depuis leur accession à l'élite (*). Depuis 1925 !
Il y a derrière cette éternité tout un tas d'implications comptables cruelles, comme une qualification pour la phase finale d'ores et déjà utopique, une zone du maintien qui se rapproche. Mais, surtout, il y a la vérité du terrain, encore plus douloureuse hier pour le tenant du Brennus. Côté ASM, ce n'est pas qu'on soit dans le déni, mais on cherche à ne pas laisser le tableau se noircir tout seul. Lapandry a répété à ses coéquipiers, dans les vestiaires, qu'il était «fier de l'état d'esprit affiché». Quand Franck Azéma voulait croire que ses hommes avaient «essayé».
Alors il vaut mieux se tourner vers l'adversaire pour ausculter le mal auvergnat. Oyonnax a l'habitude de perdre, et c'est en connaissant le goût de la défaite que ses joueurs se sont permis un diagnostic hier. Valentin Ursache, franc, avouait que, dans la semaine, le manque de confiance actuel du champion avait été souligné. «On savait qu'ils auraient des doutes, admettait Adrien Buononato. On sentait dans le comportement des joueurs clermontois qu'il s'installait peu à peu...»
McAlister sifflé par le Michelin
Le coach d'Oyo pointait sans faux-semblant cette «charnière qui se cherche un peu». Sur laquelle les Rouge et Noir ont décidé d'appuyer : «À la mi-temps, on voulait continuer à lui mettre la pression en montant bien des deux côtés pour les priver de solutions...»
L'ouvreur Luke McAlister est le symbole de ces maux clermontois, bien identifiés par tous les adversaires. Au côté d'un jeune demi de mêlée inexpérimenté, Charly Trussardi, qui, du haut de ses vingt ans, peut difficilement faire oublier les absents Morgan Parra, Charlie Cassang (blessés) ou Greig Laidlaw (sélectionné avec l'Écosse), l'ancien 10 de Toulouse n'a pas pesé. Au contraire, d'un renvoi aux 22 mètres mal dosé ou mal compris par ses partenaires, il a offert à Oyonnax un essai qui le faisait passer devant (35e, 7-8). À sa sortie (65e), le Néo-Zélandais a cristallisé les sifflets du public du Michelin, qui a l'air de reprocher au joker médical de Camille Lopez d'être arrivé comme une ombre en Auvergne.
Contre le dernier de la classe, Clermont a donc bafouillé son rugby. Un geste aux allures anodines a dit l'ampleur de la frustration de ces joueurs plus habitués à briller : au sol après une bonne séquence des siens, Lapandry libérait un ballon proprement. Mais, de rage ou d'impatience, personne n'arrivant pour s'en saisir, le flanker eut le temps de le marteler trois fois au sol aussi nerveusement qu'on toque à une porte trop longtemps close. «Parce qu'il fallait mettre du rythme ! râlait-il face à l'impuissance des siens en seconde période. Surtout quand tu es mené au score. Qu'est-ce que tu risques ! À un moment, il faut lâcher les chevaux !»
Ce Clermont, tout champion de France qu'il soit, n'y arrive pas. «On a beaucoup de fébrilité et un gros manque de maîtrise et de confiance», pointait le capitaine avec plus de lucidité. On ne formulera pas, ici, que tout espoir pour la phase finale est perdu, «parce que sinon, on va perdre tous les matches», poursuit le flanker, et qu'il reste un quart de finale de Coupe d'Europe à domicile (le 31 mars face au Racing) comme bouée de sauvetage. Mais Azéma admet que l'ASM «regarde derrière», cette zone de la lutte pour le maintien plus si lointaine (7 points d'avance sur Brive, barragiste avec un match de moins). «Il faut se rendre compte des choses ! pose le coach en se projetant. On reçoit La Rochelle la semaine prochaine... Si tu n'es pas mobilisé pour ce choc-là... ça sera difficile !»
(*) En 1961, Clermont avait perdu six fois de suite en Championnat, mais sur deux saisons.