
« Au sein de l'ASM, il y a différents protocoles de suivi des joueurs qui sont établis par les préparateurs physiques, le staff médical, les coaches ou encore les analystes vidéos. Cela nous permet d'avoir des éléments anthropométriques classiques mais aussi des données sur la mobilité, l'équilibre, les articulations, les soins mis en place, la force, l'équilibre, des protocoles d'évaluation sur le rugby, mais aussi des données subjectives comme la qualité du sommeil, la fatigue ressentie, etc. Et moi, je suis au milieu de tout ça, je récolte toutes les données. Mon travail est de croiser les datas et de les articuler afin d'aider l'équipe à aller soit vers un versant performance, soit vers un versant de prévention des blessures. »
« Tout le monde met la main à la pâte. J'ai des données journalières, hebdomadaires, mensuelles ou des données événementielles quand une blessure apparaît brutalement. Comme je ne suis là que depuis deux ans, les données annuelles servent aussi mais il faudra plus de recul pour les utiliser, même si, de façon artisanale, on arrive déjà à isoler des facteurs liés à des méformes ou des blessures. »
« Les données permettent de décortiquer une situation avec plus de précisions. Le "problème" du rugby, c'est que c'est un sport collectif. Du coup, un individu peut un peu se cacher. Pas forcément sur un gros match, car les manques vont se voir, mais pendant la semaine, voire au fil de la saison, il va se noyer dans la masse. Les datas et leur analyse vont permettre de rendre un peu plus individuel le travail et l'observation de chaque joueur. Cela permet de s'adresser à lui de manière optimale. Travailler et motiver chacun va permettre de tirer le groupe vers le haut. Et l'aspect collectif, on l'aura dans l'échange, les groupes de travail, les groupes de musculation, les groupes de skills, les stratégies managériales et le jeu. Parfois, on peut aussi être sur des mauvais a priori du côté du staff. Grâce aux datas, on s'est par exemple rendu compte que notre groupe titulaire travaillait plus que notre groupe remplaçant. Pour tous les joueurs hors groupe, on s'arrangeait pour qu'ils oeuvrent autant, mais avec les remplaçants, on ne savait jamais combien de temps ils allaient jouer le week-end. Du coup, avec nos outils, on découpe l'effectif en plusieurs groupes qui se croisent. »
« Les applications sont multiples et permettent d'améliorer entraînements et récupérations. Grâce aux données, on va pouvoir identifier ce qui compose un très gros match par exemple. Le nombre de situations qui vont le composer, leur type, leur intensité, leur récurrence dans la saison, etc. Avec ce cadre, je vais tenter de modéliser des phases de travail chronométrées qui vont valoir autant de mètres parcourus, autant d'accélérations, autant de plaquages. Car aujourd'hui, la différence ne se fait plus sur la préparation physique en elle-même. Tout le monde est à peu près au même niveau. Ce qui fait la différence, c'est d'être capable de faire les bons choix au bon moment en ayant une technique propre, même quand on est dans le rouge.
Sur la récupération, on a mis en lumière de nombreuses situations à risque, comme rentrer tard les soirs de match. Parfois, on jouait à domicile et il y avait un ressenti de fatigue plus important. Pourtant, on finissait tôt... mais il y avait le côté événementiel qui prenait le pas. Les joueurs allaient discuter avec les invités ou faisaient des photos, ça rajoutait deux heures sur notre post-match. Du coup cette année, ceux qui sont dans les 23 ne font pas les réceptions. »
« On est dans une politique de comparaison avec des standards qui évoluent constamment. Si nos joueurs ont dépassé les valeurs que l'on connaît en Top 14, on va chopper des standards du Super Rugby ou d'autres Championnats pour aller plus loin. On a un bon réseau - je parle beaucoup avec le Leinster notamment - et ça nous permet de pouvoir nous étalonner et de tirer tout le monde vers le haut.
Et les joueurs se piquent au jeu. Ce sont vraiment des mordus, d'autant que l'on essaie d'avoir le plus de justesse possible dans les classements que l'on établit. On attend d'un troisième-ligne des actions différentes d'un 9 ou d'un centre. Ils sont dépendants de leur poste et des tâches afférentes. Tu ne peux pas mettre juste un GPS et dire aux mecs : "T'as pas assez couru !" Ça n'a pas de sens. Notre politique est donc de récompenser les performances individuelles. On va exprimer les résultats correspondant aux valeurs intrinsèques du joueur, ce qui peut donner des pourcentages par rapport à lui-même. Mais aussi par rapport au groupe. Ça me permet d'aller valoriser quelque chose si j'ai envie de le valoriser. Je ne peux pas demander la même chose à Alivereti Raka qui va faire dix sprints dont un ou deux qui mènent à l'essai, alors que Greig Laidlaw ne va en faire que deux ou trois. Si nos scores et données ne sont pas rattachés à la situation, on peut perdre les joueurs. »
« La dynamique de la sport science dans le rugby a, en priorité, été l'affaire de l'Australie, et cela s'est ensuite répandu dans les pays anglo-saxons puisqu'il n'y avait pas la barrière de la langue. Ce qui fait qu'en France on a été un peu en retard au début. Aujourd'hui, je pense que ceux qui s'y sont mis à fond ont pu combler cet écart. »