"Je suis passé pour le salaud qui casse le club" : Christophe Urios, le coach de l'ASM, face aux lecteurs de La Montagne
Neuf lecteurs du journal La Montagne ont eu l’opportunité de rencontrer Christophe Urios dans les vestiaires du stade Marcel-Michelin. Une rencontre passionnante où chacun a pu poser une question au manager de l’ASM Clermont. De quoi lui permettre de s’exprimer sur des sujets aussi variés que l’état dans lequel il a trouvé le club à son arrivée, la place qu’il souhaite accorder aux jeunes ou sa conception du coaching.
Le rendez-vous était donné à la boutique du stade Marcel-Michelin. Dix fidèles lectrices et lecteurs de La Montagne sélectionnés pour poser leurs questions à Christophe Urios. Ils étaient plus de 80 à avoir répondu à notre appel.
Alors que les heureux élus arrivaient au compte-goutte, Christophe Urios les attendait patiemment dans le vestiaire de l’équipe. C’est dans ces lieux que le manager connaît par cœur, que les lecteurs ont eu l’honneur de voir leurs noms affichés dans les espaces habituellement réservés aux joueurs. Les héros du jour ne s’appelaient pas Baptiste, Killian, Harry ou Alivereti mais Thierry, Marie, Valérie ou Patrick. Bien sûr, ces supporters clermontois connaissent l’entraîneur Christophe Urios sur le bout des doigts. Mais là, dans l’intimité du vestiaire clermontois, toutes et tous ont découvert l’homme. Son franc-parler, sa faconde, sa méthode et même un peu de sa psychologie personnelle. Ils venaient chercher quelques réponses, ils ont eu bien plus. Des échanges riches permis par la typicité de l’endroit mais aussi par un technicien jouant le jeu à 100 %.
« Cela m’a permis de mieux comprendre le projet de jeu et où Christophe Urios veut aller », nous confiait Thierry après 80 minutes d’échanges. Le temps d’un match finalement.
Après deux ans de reconstruction, place à une nouvelle ère
Comme le rappelle souvent Christophe Urios, « le juge de paix, ce sera ce soir. » Face au champion de France toulousain, que Christophe Urios n’a encore jamais battu depuis son arrivée à Clermont, on en saura un peu plus sur la valeur de cette ASM 2025-2026. Ce match constituera aussi un point de repère important concernant le projet voulu par l’entraîneur auvergnat. Et pour en arriver là, il a fallu d’abord déconstruire, afin de mieux reconstruire.
« Clermont a toujours été une équipe qui travaillait beaucoup sur le terrain, plus que l’adversaire. Quand j’entraînais ailleurs, le leitmotiv de la semaine était qu’il fallait s’entraîner davantage que ces gars-là. Quand je suis arrivé ici, je me suis rendu compte qu’il y avait un monde d’écart avec ce que je voyais à la télé. À Bordeaux, par exemple, on travaillait plus qu’à Clermont. Mon rapport d’étonnement a été assez dur. Je ne sentais pas de cohérence ni d’envie de progresser. »
De son arrivée en janvier 2023 à septembre 2025, Christophe Urios a donc pris des décisions fortes.
« Il a fallu sortir des joueurs, sortir des membres du staff. Parce qu’ils ne correspondaient pas à ce que je voulais et à ce que j’imaginais. Dans cette période-là, je suis un peu passé pour le salaud qui casse le club. Tu ne peux pas te battre contre les joueurs tout le temps, ce n’est pas possible. Cela a duré deux ans. On a reconstruit pendant deux ans. Aujourd’hui, ce temps est révolu. »
Christophe Urios (Entraîneur de l'ASM Clermont)
Cette troisième saison à l’ASM Clermont doit donc véritablement lancer la machine imaginée par Christophe Urios. Le technicien affirme disposer désormais de toutes les cartes en main pour avancer. Une étape qui correspond aussi à une évolution dans sa manière de manager.
« Pendant deux ans, cela a été difficile pour beaucoup de monde, notamment pour moi. J’en ai pris plein la tête. Mais ce n’est pas un problème, je savais où j’allais. Aujourd’hui, je ne veux plus continuer ainsi car ça ne fonctionne pas. C’est le moment de lancer définitivement le projet que l’on a décidé de mettre en place. Cette nouvelle étape exige d’être plus proche des joueurs, de travailler avec eux tout en leur laissant de l’espace. C’est d’ailleurs ce qu’ils demandent. Quand on les a interrogés sur la relation qu’ils souhaitaient avoir avec le staff, deux courants se sont dégagés : un premier groupe voulait plus de proximité, tandis qu’un autre privilégiait avant tout la compétition et la réussite, peu importe la méthode. Mon rôle est de réunir ces deux visions. Cela ne veut pas dire que je dois être constamment d’accord avec eux, mais il existe une liberté de parole. On s’écoute, on se dit les choses, on accepte les remarques. C’est ce que nous faisons depuis la reprise. »
Un jeu dans la continuité
Concernant le projet de jeu, Christophe Urios reste fidèle à ses principes. Et surtout à ce qu’il considère comme l’identité clermontoise. Il y aura bien évidemment certaines évolutions liées à l’arrivée de nouveaux éléments, comme Harry Plummer, mais globalement, le manager tient à ses idées. « On va être dans la continuité de ce que l’on faisait l’année dernière. Le rugby est un sport d’émotion, lié à son territoire. On a travaillé notre postulat à travers de nombreuses réunions avec les joueurs, le staff et les éducateurs : quelle est la culture du club de l’ASM ? Cela a confirmé ce que j’imaginais. D’abord, il faut des avants forts. Ensuite, de la violence sur la ligne d’avantage. On a donc vraiment travaillé là-dessus. Enfin, la vitesse sur le champ profond, avec des ailiers et des arrières rapides. Et évidemment, on s’appuie sur cela. »
Quelle place pour les jeunes ?
Il est des refrains qui reviennent souvent à la bouche de certains supporters : « Il faut faire jouer les jeunes ! », « Christophe Urios n’aime pas faire jouer les jeunes », etc. Alors Valérie Chaucheprat a joué les porte-parole en demandant tout simplement : « Pensez-vous intégrer quelques Espoirs en vue des prochaines saisons ? » L’occasion pour l’entraîneur des l’ASM de mettre les choses au clair. « On me fait souvent ce procès de ne pas suffisamment intégrer les jeunes… Mais je trouve qu’on en a déjà intégré pas mal. J’en ai quand même nommé un de 21 ans comme capitaine. On a un noyau de jeunes qui est déjà intéressant. Je pense à Jauneau évidemment, à Tixeront, à Massa, à Léon… Ce sont des garçons qui ont entre 20 et 23 ans. Eux sont déjà intégrés et ont des responsabilités. »
L’anecdote de son époque Oyo
Puis d’évoquer une génération prometteuse qui tape déjà à la porte des pros : « Les 2006-2007 qui arrivent sont de très bon niveau. Je pense notamment à Mathéo Frisach, Rémy Lanen, Léo Michaux, Lucas Zamora, Baptiste Veschambre, Axel Guillot… Si les jeunes sont d’un bon niveau, ils joueront, ce n’est pas un problème. » Preuve en est, la présence dans le groupe des 23 convoqués face au Stade Toulousain, de Juan Martin Montilla. Âgé de 18 ans, celui qui aura la charge de suppléer Harry Plummer ce soir, a été sacré champion de France Crabos en juin dernier. « Le jeune, il faut l’intégrer dans de bonnes conditions. Pour moi, il faut que l’équipe autour de lui soit solide et que le match ait lieu chez nous. Envoyer des jeunes au casse-pipe à l’extérieur, ce n’est pas intégrer des jeunes pour moi. »
Christophe Urios en a également profité pour faire le point sur ce que doit apporter le projet ASM, présenté au début de l’année. « On a un plan de succession qui est fort. On sait exactement où en sont les jeunes, on sait exactement les postes où on sera riche et les autres où on le sera un peu moins. Grâce au projet One ASM, il y a aujourd’hui un vrai travail d’équipe. Ce n’était pas le cas avant. Chacun faisait ce qu’il voulait, il n’y avait pas de relation entre les équipes. Mais désormais, quand les jeunes montent avec les pros, il n’y a pas d’erreur : ils sont précis, engagés, motivés, ils suivent la cadence. Ces jeunes-là, encore une fois, il n’y a aucune raison qu’ils ne soient pas intégrés rapidement. »
Et de conclure par une anecdote pleine de sens. « L’ASM a toujours été un club formateur qui fait jouer ses jeunes. Pour moi, cela fait partie de l’histoire et on a besoin de renouer avec elle. On l’a peut-être moins fait ces derniers temps, mais c’est parce qu’on n’avait pas de jeunes de bon niveau. C’est ça la vérité. Quand j’étais à Oyonnax, le premier recrutement que je faisais, peu importe le poste, c’était de venir chercher des jeunes de Clermont que le club ne gardait pas pour passer pro. Pourquoi ? Parce que je savais que c’étaient des garçons bien éduqués, forts sur le poste et travailleurs. Quand je suis arrivé ici, je ne sais pas si j’aurais fait le même recrutement avec Oyo… Chacun pensera ce qu’il veut. »
Une psychologie du coaching basée sur l'humain et le travail
Si toutes les questions posées étaient pertinentes, il en est qui ont permis à Christophe Urios de se livrer de façon plus introspective. Celle prononcée par François Dumontel était de celle-là : « Comment qualifiez-vous votre psychologie du coaching et en quoi a-t-elle évolué par rapport à vos clubs précédents ? »
D’habitude si percutant, l’ancien manager de l’UBB a cette fois marqué une pause. Le temps de choisir ses mots. « Je suis un bâtisseur. J’aime construire, co-construire. Je sais trop que si les joueurs ne sont pas acteurs du projet, ça ne marche pas. En tout cas, pas sur la durée. Donc, je fais en sorte de créer des choses dans lesquelles les joueurs sont acteurs. Des fois ça marche, d’autres fois un peu moins bien. Quand ça marche moins bien, c’est que je n’ai pas confiance. Jusqu’à maintenant, à l’ASM, j’étais toujours sur le qui-vive, je ne savais pas trop. Mais depuis cette intersaison, je trouve que tout le monde est en confiance. Ça m’aide vraiment. Je suis plus à l’aise, je me sens plus fort. »
Les Défis Vulcains sont d’ailleurs l’incarnation de cette volonté d’emmener tout un groupe dans une aventure humaine, mais aussi de labeur. « Si je dois qualifier mon management, je dirais que je suis dans l’empathie. J’aime aller chercher le mec, j’aime comprendre le joueur. Je suis très à l’écoute. J’ai un grand respect pour les personnes. Mais aussi un très grand respect pour le travail qu’il y a à faire. Tu ne m’enfumeras. On peut passer des moments sympas ensemble, mais si tu ne fais pas ton boulot, je vais te le dire. Parfois, c’est pas facile. Mais, j’aime quand les gens sont engagés à 100 %, quitte à faire des erreurs. C’est pas grave, ça fait partie de l’apprentissage. Moi, des erreurs, j’en fais tous les jours. Par contre, j’essaie de pas faire les mêmes. »
« J’ai entraîné des mecs que j’aime »
Et d’illustrer son propos au travers d’un cas qui a marqué sa vie de coach. « Je veux mettre l’humain au centre. Mais ce n’est pas pour autant que je suis le pote des joueurs. Il y a des gens que j’aime dans le monde du rugby, j’ai entraîné des mecs que j’aime, mais ce ne sont pas mes potes. Par exemple, avec “Benji” Urdapilleta, j’avais une relation incroyable. Mais je peux te dire que quand il n’était pas bon, il le prenait dans les dents. Ce n’est pas un problème pour moi parce qu’on ne peut pas tout mélanger. »
Un mantra qui l’a suivi tout au long de sa carrière d’entraîneur, entamée en 1998, puis en 2002 à l’échelon professionnel. « Parfois dans notre métier - surtout aujourd’hui parce que c’est un boulot difficile où on ne maîtrise pas tout - les staffs ont tendance à être plus que bienveillants pour s’assurer une paix sociale. Ce n’est absolument pas ce que je fais. Quand tout va bien, je n’ai pas de problème. Mais si ce n’est pas le cas, je vais le dire. Et à qui que ce soit. Ça, c’est mon fil rouge. Tu peux parler avec des gens que j’ai coachés en tant que jeune entraîneur, ils te diront tous la même chose. Et ça, pour moi, c’est ma plus grande fierté. »