Bonnet sur la tête, sweat bleu et pantalon foncé en velours. Patrice Collazo déambule dans les couloirs du GGL Stadium. Jeudi, c'était repos pour ses joueurs. Pas pour le nouveau manager du MHR. Viré à 6 heures du matin, le 13 novembre, par les dirigeants de Brive, le technicien de 49 ans est arrivé seulement six jours plus tard à Montpellier pour tenter de relancer le dernier du Top 14, qui reste désormais sur huit revers de rang.
Depuis, les journées sont longues. Il les passe avec le reste de son staff ainsi que Bernard Laporte, le directeur du rugby du club héraultais. L'homme qui l'a appelé pour venir à la rescousse d'un club à la dérive. Malgré les deux défaites inaugurales contre Oyonnax (21-26) puis à Bayonne (34-19), l'ancien entraîneur de La Rochelle, du RCT et du CAB a, comme prévu, accepté de se confier très longuement sur ce nouveau challenge. Il dit aussi avoir beaucoup changé et il l'explique.
Avez-vous eu enfin le temps de récupérer toutes vos affaires à Brive ?
(Rires.) Il fallait être opérationnel avant de récupérer les affaires parce qu'il y avait urgence. Je me suis encore planté sur la route lundi en revenant de Brive. J'ai raté la sortie et j'ai fait un détour. Les premiers jours ont été speed. Déjà parce que la situation du club est compliquée. Speed aussi car je suis passé d'un point A à un point B, d'un club à un autre, en six jours. Je ne sais pas si c'est déjà arrivé mais c'est perturbant. Quand vous rentrez dans une salle de réunion avec 45 joueurs différents et un autre staff, il faut être accroché.
« Là, c'est vraiment une mission et pas un projet puisque le club est en difficulté »
De l'extérieur, ce virage était inattendu...
Oui, c'est assez fou car le scénario et le casting sont improbables. Personne n'aurait pu y penser. Même pas Bernard (Laporte) trois jours avant. C'est ce que l'on appelle un concours de circonstances ou le destin. Là, c'est vraiment une mission et pas un projet puisque le club est en difficulté.
Comment Laporte vous a-t-il convaincu de le rejoindre, le 19 novembre ?
Il est 7 h 45. Je devais aller chercher ma fille et manger avec elle, puis remonter sur Brive lundi et mardi et ensuite aller à Toulon. Bernard, que je connais depuis très longtemps, me dit : "Est-ce que tu as fait le sac ?" Je lui réponds : "C'est pourquoi ? Je suis titulaire ou remplaçant ?" En principe, on dit ça aux joueurs. Très vite, avec sa personnalité et un débit de paroles très accéléré, il m'explique les choses et me dit de réfléchir à un fonctionnement. Il me donne deux-trois noms en me citant Vincent (Etcheto) et Christian (Labit) avec qui j'ai joué (avec Etcheto à Bègles-Bordeaux entre 1993 et 1995 puis de 1996 à 1998 et avec Labit au Stade Toulousain de 2002 à 2005).
« J'ai vu qu'on ne pouvait pas forcément transposer des choses d'un club à un autre. C'est l'erreur que j'ai faite »
Quelle est votre réaction ?
Je ne pouvais pas lui dire oui de suite. Il me dit : "Je te rappelle dans une heure." C'est ce qu'il a fait en ajoutant : "Dépêche-toi, je vois le président (Mohed Altrad) dans 45 minutes." L'idée était que je sois manager et de bien répartir les missions d'un staff qui n'est pas pléthorique, contrairement à ce qu'on dit. On n'est pas plus nombreux que les autres encadrements du Top 14. Au contraire même. Moi, je suis manager général et après il y a des entraîneurs (Etcheto pour l'attaque, Labit pour le jeu d'avants et les attitudes au contact, Antoine Battut en charge de la touche, Benson Stanley à la défense et Jérémy Valls pour le jeu au pied). Didier Bès vient de nous rejoindre pour la mêlée car il y avait un besoin.
Les joueurs n'étaient visiblement pas emballés lorsque vous avez été nommé, surtout après l'expérience Richard Cockerill...
Oui, mais c'est l'image que l'on renvoie. On me colle une étiquette mais est-ce que c'est facile de fonctionner avec Christophe Urios, Pierre Mignoni et d'autres ? Chacun a sa manière de manager et sa personnalité. Je sais très bien que j'ai une étiquette mais tout le monde en a une. Quand vous faites sept ans dans un club (La Rochelle, de 2011 à 2018), ça veut dire quelque chose. Je suis parti pour un désaccord avec mon staff, non pas avec mes joueurs. Après, j'ai fait trois ans à Toulon (2018 à 2021) dans un contexte totalement différent. J'ai vu qu'on ne pouvait pas forcément transposer des choses d'un club à un autre. C'est l'erreur que j'ai faite. Mais ce qui m'est arrivé par le passé est aussi arrivé à quasiment tous les entraîneurs.
Cette étiquette vous fatigue-t-elle ?
Non, à 50 balais on évolue. Je n'entraîne plus et je ne manage plus de la même façon. Après mon départ de Toulon, j'ai beaucoup voyagé et j'ai été invité dans beaucoup de clubs de Top 14 et à l'étranger durant un an et demi. Quand on entraîne, on est dans une bulle et on développe un côté parano. Ça fait du bien de se renouveler et de s'ouvrir. C'est là où j'ai le plus appris. Quand je suis arrivé à Brive (en décembre 2022), les gens s'attendaient à quelque chose et ils en ont eu une autre même si j'ai gardé mes convictions non négociables par rapport à un fonctionnement, une institution et une équipe.
Clubs : La Rochelle (2011-2018), Toulon (2018-2021), Brive (2022-2023), Montpellier (depuis novembre 2023).
2017 : avec La Rochelle, il termine à la première place du Top 14 à l'issue de la saison régulière, avant de se faire éliminer par Toulon en demi-finales, à la sirène (15-18).
Avez-vous vraiment modifié votre manière de vous exprimer ?
Oui, j'ai eu envie de faire passer des messages différemment en faisant la synthèse de ce que j'ai vu et des conneries que j'ai faites. Quand je suis arrivé ici, les joueurs ont peut-être pensé que j'allais être dur. Geoffrey Doumayrou, que je connaissais bien (il l'a entraîné à La Rochelle en 2017-2018), m'a d'ailleurs dit qu'il avait prévenu les mecs mais il m'a dit : "T'as changé ou évolué, tu dis les choses différemment." Après, on ne se transforme pas sinon les joueurs ne le comprendraient pas mais j'ai envie de les surprendre.
Cela vous sert-il, d'autant plus face à un groupe marqué par l'enchaînement des défaites ?
Oui, même si le contexte est différent, je l'ai déjà vécu à Brive. Je l'ai dit aux joueurs d'ailleurs. Quand ce n'est pas bien, on va leur dire mais quand c'est bien, il faut aussi le dire. Nous ne sommes pas sur une faillite collective mais sur des joueurs mentalement en difficulté et qui peuvent plomber l'équipe. Il faut vite regagner mais la première chose est de leur montrer qu'on va leur donner un cadre. On doit retrouver cette confiance et cette adhésion collective sans tout modifier, on le fait par touches homéopathiques.
« Si on est forts mentalement, le rugby suivra »
Ressentez-vous l'urgence du résultat ?
Bien sûr. À Bayonne, on se tue un peu tout seul avec une interception et des plaquages ratés. Dans une saison, il faut savoir saisir des fenêtres et c'est le cas aujourd'hui jusqu'au 27 janvier. On a des matches de Challenge Cup (voir plus bas) qui doivent nous permettre de valider des certitudes mais aussi trois réceptions en Top 14 (Castres, Toulon et Pau) et un déplacement (Lyon). C'est peut-être vraiment le moment de se lâcher. Si on est forts mentalement, le rugby suivra.
Avec quel jeu ?
Il faut aller au plus simple. Et ça tombe bien, c'est un peu l'ADN de Montpellier depuis des années, avec une conquête forte, une bonne défense, jouer les coups quand ils sont bons. On a vu qu'une fois en place, Montpellier était capable de jouer un très bon rugby.
« Avoir l'adhésion d'un groupe et d'un staff, c'est ma priorité désormais »
Avez-vous l'impression de jouer gros à titre personnel ?
Celui qui est champion est bon et les autres sont des cons ? Non. On fait tous le même métier et on a tous les mêmes emmerdes. Le seul mec qui a gagné à Montpellier, c'est Philippe (Saint-André, en 2022). Vern Cotter était nul ? Jake White était nul ? Richard Cockerill était nul ? Non. Philippe a gagné et un an demi après, il n'est plus là. Si on ne gagne pas, on est un mauvais entraîneur ? Le plus important c'est ce que pensent les joueurs de vous. Je l'ai compris avec le temps. Avoir l'adhésion d'un groupe et d'un staff, c'est ma priorité désormais. Après on est dépendant de tellement de paramètres.
Comment se passe la collaboration avec Bernard Laporte ? Il n'est pas en jogging ?
(Rires.) Si, il est en survêt', en tenue de club. Même si ça fait longtemps qu'il n'a pas entraîné (2016), c'est un entraîneur au départ. Il a une vision et une certaine expérience du rugby. Il intervient sur le groupe mais à des moments précis. Jamais par-dessus le staff. Ses traits de personnalité sont toujours les mêmes. Il a un esprit de compétition. Il n'est pas là pour enfiler des perles mais pour gagner. Comme nous. On n'est pas là pour prouver qu'on est bons sinon on ne se mettrait pas au service de notre mission.
